Cheyenne Carron est une réalisatrice indépendante française soutenue par Solidarité Défense pour ses films dont les sujets touchent au monde militaire. Son nouveau film, « La beauté du monde » sortira en fin d’année et met en avant le syndrome post-traumatique. Elle nous explique le projet de son film.

Roman, militaire blessé psychiquement, ne parvient plus à trouver ses repères dans la société, à son retour de mission. Sa compagne, Clara, le quitte et emmène avec elle leur fillette. Privé de sa famille, Roman part s’isoler à la montagne. Loin des regards, il laissera les souvenirs de la guerre l’envahir, jusqu’au jour où il croise un groupe de bûcherons, touchés par son état.

Vous aviez déjà réalisé des films sur les enjeux du milieu militaire (Le soleil reviendra ou Jeunesse aux cœurs ardents). Avec La Beauté du monde vous adoptez un nouveau point de vue, celui du syndrome post-traumatique. Comment vous êtes-vous intéressée au sujet ?

J’ai vécu à l’âge de 16 ans un traumatisme. La génitrice qui m’avait
abandonné bébé après m’avoir maltraitée, est apparue dans la rue comme
un fantôme et s’est  mise à me harceler, il m’a fallu plus de 10
ans pour m’en remettre. Ce choc a éveillé toutes sortes de peurs,
d’angoisses, de mal-être et de violences. Bien des années plus tard,
j’ai aimé un Légionnaire qui était atteint de trouble du sommeil, de
réminiscences, et j’ai découvert ce qu’était le syndrome post
traumatique.

J’ai eu envie d’en faire un film et de montrer un homme qui malgré ses troubles, sa vulnérabilité, s’en sort.

Pourquoi montrer ce sujet au public est-il important selon vous ? En quoi
le traitement de cette thématique relève-t-il de l’engagement ?

Dans une société évoluée comme la nôtre, il est vital de tendre la main à
celui qui est fragilisé. Le monde militaire le fait d’ailleurs très
bien, l’entraide existe, et la reconnaissance du syndrome post
traumatique est tout à fait prise en compte maintenant.

Mais il est vrai que le grand public ne connaît pas cette souffrance qui
touche parfois les soldats, alors je voulais faire un film pour rendre
hommage à ces hommes et ces femmes.  Nous autres dans le civil nous
oublions trop souvent que ces hommes et ces femmes sont envoyé(e)s à la
guerre pour protéger nos libertés. Alors leurs souffrances sont
collectivement un peu de notre responsabilité.

Ce sujet est incroyablement intime et délicat. Comment avez-vous procédé pour aller au plus près de la réalité ? Quelles difficultés vous a posées la réalisation de ce film ?

J’ai rencontré beaucoup de blessés durant l’écriture,
j’ai tissé des relations de confiance et même d’amitié. Ces échanges m’ont permis de poser sur le papier une histoire. Ensuite, j’ai fait participer au film de nombreux blessés.

Ma principale difficulté, c’est de rester lucide sur ce que je pouvais laisser dire ou pas. Il y a des choses qui parfois m’ont été confiées et je ne me sentais pas d’en parler dans le film. J’ai eu également des problèmes de conscience face à de vrais blessés qui m’ont livré sans
censure leurs difficultés, la non-reconnaissance de leurs blessures par leurs chefs, les moqueries qu’ils ont subies, et je me suis beaucoup interrogée sur ce que je devais laisser ou pas, car je ne voulais pas que mes « acteurs » subissent des critiques au moment de la
sortie du film.

 Ces choix, j’ai dû les faire avec lucidité et bienveillance, pour ne causer de tort à personne
et tenter de faire un film riche et intéressant.

Sur le site Ulul, vous dites : « Je souhaite faire un film juste, loin des clichés trop souvent véhiculés au cinéma. ». Quels sont ces clichés que vous refusez ?

Je ne veux pas de « happy end » obligatoire, ni de larmoiement excessifs. J’ai tenté de faire un film à niveau humain, sans enjoliver, ni assombrir. J’ai essayé de faire du « vrai ».

Votre cinéma n’est pas un cinéma moralisateur. Souhaitez-vous tout de même faire passer un « message » à travers ce film ?

Mon désir serait qu’un blessé en voyant le film se dise, qu’il peut y avoir des jours meilleurs. Nous ne sommes pas condamnés  à la souffrance. A la fin du film, le sourire du héros revient. Il n’est pas guérit pour autant, mais il accepte d’avoir besoin d’aide.

Le propos de votre film peut être pris de manière plus large. En effet vous souhaitez « montrer qu’un homme peut être sauvé par un autre, par la confiance qu’il accepte de donner et de recevoir ». Pensez-vous que la solidarité est une valeur en péril dans notre société ?

Je ne le crois pas. Les solidarités se réinventent chaque jour. L’homme ne peut pas vivre sans les ponts qu’il tisse aux autres.

Concernant le syndrome post-traumatique, l’armée avance à grand pas, les associations sont porteuses de projets qui vont dans le sens de l’entraide. Nos sociétés évoluées ne laissent pas sur le carreau le plus fragile, le blessé, elle lui fait une place.

Solidarité Défense souhaite resserrer le lien entre société civile et personnel de la défense. Votre engagement s’inscrit selon nous dans cette volonté (et c’est pourquoi nous sommes heureux de vous soutenir). Vous qui n’êtes pas du milieu militaire, qu’est -ce qui vous pousse à traiter cette thématique ? Pourquoi y êtes-vous particulièrement sensible ?

L’aide de Solidarité Défense a été précieuse pour faire ce film et je les en remercie. Dans le monde civil l’armée fascine, elle représente des valeurs solides, des valeurs exaltantes de bravoure, de fidélité, de camaraderie.  Le monde militaire est peut-être encore un des rares lieux où l’homme peut vivre pleinement l’esprit d’aventure.

 Quel est votre plus beau souvenir de tournage ?

J’ai deux très grands moments de joie sur ce tournage !

Le premier c’est les quelques jours où nous avons tourné à Percy. Nous étions le premier jour dans l’unité des blessés psychiatriques. Les soldats blessés venaient timidement au début voir le tournage, puis après nos trois jours, ils étaient vraiment avec nous. On ne distinguait plus les malades et les autres, nous étions ensembles. Et c’est ça c’était vraiment chouette.

Mon autre moment de joie, c’est lorsque je suis arrivée à la Légion Etrangère pour tourner quelques scènes à Carpiagne. Le chef de corps du Royal Etranger, le Colonel Meunier, a accueilli mon équipe avec énormément de bienveillance. Là-bas nous étions parmi les Légionnaires et pendant que je tournais, je me disais quelle chance inestimable j’ai de pouvoir être à leur côté. Je me suis sentie vraiment bien, c’était à la fin du tournage.